vendredi 27 mai 2016

La théorie des cuillères - Une journée-type avec des « perceptions »


(Punaise cet article sera vraiment impubliable. Comment vais-je bien pouvoir aborder ça de façon à la fois « juste » et « explicite » ? Bon, si après lecture de cet article certaines choses vous semblent encore peu claires, n’hésitez pas à me poser vos questions en commentaire.
Vraiment, je suis sincèrement désolée, hahaha ! Je vais juste… Publier ça, et m’efforcer d’oublier que je l’ai publié.)
Bon, commençons.

C’est en regardant deux vidéos traitant de la théorie des cuillères que j’ai eu l’idée d’écrire cet article. Ces deux vidéos étaient à peu près semblables dans leur construction, sauf qu’une personne appliquait la théorie des cuillères à l’Asperger, et l’autre l’appliquait au syndrome d’Ehler Danlos.

Et je m’suis dit : « Ben zut ma fille, depuis le temps que t’es une « spoonie »* toi aussi… Pourquoi tu n’en ferais pas un article ? Eh mais, attends, c’est quoi ta maladie, à toi ? Quoi, tu n’as pas un vrai handicap ? Ah ben alors tu ne peux pas faire cet article. Ah non non non. Puisque tu n’as pas de nom à mettre sur ce que tu vis, tu ne peux pas décemment raconter comment se décomptent les cuillères pour toi. Oh mais attends, si, tu peux. Puisque tu es clairement concernée ma parole. Neuroatypique de cruche d’hypersensible, va écrire ton article maintenant.»

(Je vous mets les liens vers les deux vidéos en fin d’article, si cela vous intéresse.)
*En anglais « spoon » signifiant « cuillère », « spoonie » désigne une personne à laquelle on peut appliquer la théorie des cuillères.
Oh, mais j’oubliais presque :
La théorie des cuillères, qu’est-ce que c’est ?


Alors voilà le topo :


C’est l’histoire de deux amies qui sont au restaurant, l’une est atteinte d’un Lupus (une maladie, pour faire bref) et publiera bientôt un essai sur « La théorie des cuillères », tandis que l’autre femme, eh bien, elle ne sert qu’à poser la question.
Quelle question pose-t-elle ?
«Eh dis-moi Christine, en fait, en vrai, qu’est-ce qu'on ressent quand on est atteint d’une maladie chronique invalidante et invisible ? »
Ce sur quoi Christine Miserandino va lui pondre une métaphore qui, bien qu’étant possiblement imbibée de vin rouge, est ma foi indubitablement et absolument géniale.
Elle va ramasser des petites cuillères qu’elle trouve sur les tables du restaurant, à côté de la leur, met toutes ces cuillères dans les mains de son amie, et lui dit :
«Tu veux savoir ce que c’est la plus grosse différence au quotidien, entre être malade et ne pas l’être ? Eh bien voilà : tu vois, ces cuillères, elles représentent ton énergie de la journée. Là tu en as 12 dans les mains. En admettant que tu aies mal dormi, tu commencerais ta journée avec 5 cuillères et tu serais déjà mal barrée, mais ça c’est encore autre chose.
Le truc, c’est que tu disposes de ces 12 cuillères pour faire tout ce que tu veux faire dans la journée, et pas plus. Tu vas donc devoir faire constamment des choix, pour gérer ton énergie. Et tu te rendras compte que 12 cuillères, c’est plutôt limité comme réserve d’énergie. »


Voilà donc la splendide théorie des cuillères. Théorie qui va permettre –oh joie- de faire comprendre à une personne bien portante et tout à fait neurotypique (c’est-à-dire dont le cerveau fonctionne de manière « typique », donc, dans la norme) ce qu’est la fatigabilité.

Alors bon, n’ayons pas peur des mots, ma sensibilité accrue (EUPHEMISME) est parfois bien handicapante. Oui, handicapante. Comme un handicap, mais qui n’a pas de nom, et qui n’est pas vraiment un handicap, parce que je n’aime pas ce mot et qu’il est péjoratif.
C’est ballot, mais c’est par rapport à la société dans laquelle on vit que se détermine où se trouve le « handicap ». Et je ne sais pas pour vous, mais dans la société dans laquelle je vis, mes « dons » sont loin de représenter des « superpouvoirs » pour mon quotidien. Alors quand je suis toute seule, c’est bien, je n’ai pas de (trop) gros problèmes. Confrontez-moi aux attentes de la société (ouh la vilaine) et là je commence à pédaler dans la semoule.

Alors, ça donne quoi la théorie des cuillères, sur moi ? 
Qu’est-ce qui va me faire perdre énormément de mon énergie, 
et me forcera à faire des choix concernant mes activités du jour ?

Pour rappel : j’ai 12 cuillères à ma disposition.
  •  Le réveil sonne : -1 cuillère. Pourquoi ? Parce que quand je dors, je quitte mon corps, et lorsque je me réveille, eh bien, il me faut du temps pour bien me ré-emboîter dedans. Si je suis réveillée de façon trop brusque, c’est simple, mes jambes restent paralysées pendant une bonne minute et moi je suis complètement désorientée. (Quoi, je mens ? Viens vivre dans ma peau, pour voir). Bref, le simple fait de s’emboîter dans son corps dans ces conditions est fatiguant.
  • Maintenant que « je ne sais quoi » (mon corps éthérique ??) s’est à peu près correctement emboîté dans mon corps, il va falloir réveiller correctement mon cerveau. Donc, toutes mes perceptions vont se révéler à moi, et elles seront dorénavant traitées par mon conscient, qui prendra le relais de mon inconscient : -1 cuillère. 
          Pourquoi -1 cuillère? Tout simplement parce que ça fait trop à percevoir d’un coup, dès le matin, comme ça : ça coince, ça force, ça veut occuper mon corps, mon esprit, mon cœur. Bref saturation totale alors que je ne demande qu’à ouvrir les yeux. (Oui, pour l’instant mes yeux étaient fermés.) 
  •          J’ouvre les yeux. Mes yeux me permettent de « voir », donc, le monde qui m’entoure. Ce qui fait monter encore le niveau d’informations que je reçois venant du monde extérieur. Et ça le fait monter d’un bond, lorsque j’ouvre les yeux. -1 cuillère.Pourquoi ? Parce que toutes les informations visuelles que je capte avec mes yeux physiques vont être utilisées par mon mental, pour qu’il y superpose, en quelque sorte, la localisation des choses que je perçois. Entre autre. Et parce que j’ai une fâcheuse tendance à « devenir » tout ce que je regarde, aussi. En pleine journée, quand je suis réveillée, tout ça m’est complètement habituel, bien sûr. Mais au saut du lit, c’est pas facile-facile à digérer.
  • Comme dirait l'autre: "WTF?", ou,
    en d'autres termes:
    "Qu'est-ce que putain de quoi?!"
           Je commence à ressentir que mon corps a faim, soif, a besoin d’aller aux toilettes, etc. -1 cuillère.
    Pourquoi ? Parce que, eh, oh, vous ne croyez pas que j’en ai assez à gérer avec les centaines d’informations et émotions qui se culbutent déjà à travers tous mes organes?  Si je dois en plus gérer les besoins de mon corps physique, mes aïeux…
    Haha, mon pauvre cerveau essaye de trier tout ça mais, qu’est-ce que c’est drôle, il ne peut pas hiérarchiser les données ! Il n’a pas un fonctionnement linéaire ! (Bienvenue dans le monde merveilleux des neuro-atypiques : un monde dans lequel il est possible que des papiers médicaux indiquent que tu es très intelligent, mais où la plupart du temps tu as surtout l’air très c**. ) Donc, c’est à ce moment que je vais avoir un réflexe automatique de défense, qui va consister à ne plus me faire ressentir mes besoins physiques. Mais en échange (ben oui, ce réflexe a un prix) je vais ressentir une bonne grosse angoisse. Et me sortir de cette angoisse va me demander de l’énergie.
  •        Je me sors de mon angoisse bon gré mal gré, et je me lève. Alors, bien sûr, je vais au toilettes, parce qu’il est évident que mon corps en a besoin. Je le sais, mais n’oublions pas que j’ai alors perdu momentanément le lien avec mes sensations physiques, et que j’ai encore la tête dans le brouillard. Je vais donc devoir me rappeler méthodiquement d’aller aux toilettes (-1 cuillère), de manger quelque chose (-1 cuillère), de m’habiller sinon je vais avoir froid (-1 cuillère)… Pourquoi est-ce que faire ces choses va me coûter de l’énergie ?
    Je ne sais pas « pourquoi », car je ne connais aucun travail scientifique sérieux traitant de ce que je vis. Mais, à titre personnel, je sais que cela me fatigue car cela me provoque la sensation pesante d’avoir à déplacer un vieux pantin rouillé pour faire des tâches ennuyeuses et qui ne font pas sens. (Si j’y pense 2 secondes, avec mon intellect, bien sûr que je sais pourquoi je dois manger, mais il ne s’agit pas de ça. Il s’agit de la façon dont je ressens et appréhende les choses à un niveau primaire).

❀ 

Voilà, ma journée commence, et il ne me reste que… 5 cuillères. Qu’est-ce qu’on fait avec 5 cuillères, mes amis ? Pas grand-chose. Du moins, pas grand-chose de « typique » pour « la société » et « un être humain normal ». C’est donc à propos de ces choses que je vais devoir faire des choix. Aller à l’université ou réviser mes cours ? Aller faire des courses ou aller à la laverie ? Et si je fais ces choses, est-ce que j’aurais encore assez d’énergie aujourd’hui pour lire un peu, ou écrire ? Et si je fais ces choses, est-ce que j’aurais assez d’énergie demain pour juste faire quelque chose ?
Devoir décliner les invitations à sortir, encore et toujours. Oh, il est vrai que je suis très casanière et des fois je n’ai tout simplement pas envie de sortir. Mais d’autres fois je ne suis tout simplement pas en état.

Je crois que ce qui me retire le plus d’énergie, ce sont les interactions sociales superficielles.
Vous savez, quand la personne avec qui on discute est en face de nous, nous regarde dans les yeux, et porte un masque si gros que j’ai peine à croire que la majorité des interactions humaines se font de cette façon. Parfois, même, la personne croit dur comme fer qu’elle est le masque qu’elle affiche quand elle parle (bref elle se ment à elle-même), et ça c’est le parcours du combattant, pour moi. Et dire que la plupart des personnes que l’on peut croiser font ce genre de chose.
C’est super dur de converser avec une personne dont on perçoit le cœur (les rêves, les ambitions, les peurs, etc), tout en faisant très attention de ne pas la chambouler en allant heurter un de ses blocages intérieurs. Etre constamment à l’affut de ce qui se passe « énergétiquement parlant » (désolée, je n’ai pas d’autre mot), le tout pour alimenter une conversation dans laquelle il n’y aura pas de réel partage humain (donc on s’épuise dans le vent, en fait).
J’en ai pleuré d’épuisement, en rentrant chez moi après quelques heures passées à la fac, par exemple. Pas de tristesse, hein, entendons-nous bien : d’épuisement.
De l’épuisement nerveux.
Oui, je peux faire un burn-out juste parce que j’ai dû sociabiliser (=avoir une interaction sociale superficielle), trop longtemps, ou avec trop de personnes en même temps, trop de journées de suite. D’ailleurs, c’est exactement ce que j’ai fait il y a quelques mois de ça.
Un burn-out d’un genre assez spécial, qui vous cloue au lit. Mais ça ferait un article vraiment trop long si je devais en parler plus en détail maintenant.


Cet article ne sert à rien…

Il est juste là à titre informatif, au cas où une autre personne vivrait ce que je vis et aurait alors l’occasion de s’écrier : « Mais oui, c’est ça ! C’est ça ce que je vis ! Tiens viens voir George, c’est ce que j’essayais de t’expliquer ! »

Bien à vous


Comme promis, voici les liens vers les deux vidéos qui m'ont inspiré cet article:





7 commentaires:

  1. Je ressens un grande sensibilité. C'est vraiment un plus dans la vie. Mais pour en faire un atout, il faut bien la canaliser. Texte très intéressant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Eh bien oui, canaliser cette sensibilité est un défi de tous les jours pour moi. Je ne peux que chercher, encore et toujours, le moyen de faire de tout cela une force.

      Supprimer
  2. Je m'aperçois que j'ai diffusé deux fois le même message !! Etourdi que je suis !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ça ne fait rien, ce message avait bien deux fois sa place ici ;-)

      Supprimer
  3. Salut Cael, tout d'abord, je veux te dire que j'adore tes articles que je trouve très aboutis. J'aime vraiment ce que tu écris. Et je ne veux pas que tu prennes ce que je vais dire pour toi parce que c'est uniquement par rapport à ce que tu as écris. Et ce n'est pas pour te faire du mal ou quoi que ce soit.
    Cet article m'a énervée. Très légèrement, mais quand même. Je sais que tu essaies d'exprimer un mal être qui est incompris par la société, et que c'est très dur parfois d'avoir des perceptions très fines etc. D'être en quelque sorte un pied dans ce monde et l'autre dans le monde magique. Mais je crois que cet article peut vraiment froisser les gens qui sont malades physiquement. Dans mon cas par exemple, si j'épuise mes cuillères, l'enjeu c'est ma vie. Je peux mourir. Je ne suis pas en train de dénigrer ta souffrance, pas du tout. Mais je voulais juste que tu prennes conscience que ça peut heurter certaines personnes qui souffrent d'être malades. j'espère vraiment l'avoir fait avec délicatesse et ne pas t'avoir miné le moral. Je te dis à bientôt.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Salut!
      Tu ne m'as pas minée au contraire, je trouve ton commentaire très légitime. Je n'ai jamais prétendu avoir autant à perdre qu'une personne malade physiquement, et je comprends que ça t'ai heurtée.
      J'espérais aussi, avec cet article, ouvrir à un autre point de vue sur la maladie, pour les gens qui ne sont pas malades justement. Pour qu'on se comprenne mieux les uns les autres.

      Merci d'avoir partagé ton avis et ton ressenti! Je pense que ton commentaire était essentiel à cet article.

      Supprimer
    2. Merci d'avoir publié mon commentaire, et de ne pas l'avoir mal pris. Je savais que tu aurais la maturité pour comprendre :)

      Supprimer

Un blog sans commentaires, c'est comme une maison sans chat.